mercredi 8 septembre 2021

Le commencement.



Bienvenue à vous dans ce carnet de partages, de réflexions et d'anecdotes autour de la maternité, cette aventure qui m'a fait réaliser que je grandissais en même temps que mes enfants! Je les accompagne en privilégiant l'écoute active, la considération des besoins, la juste expression des émotions. 

Nous sommes une famille un peu hors normes : ici on va parler d'enfants sauvages pieds nus dans les bois, d'instruction en famille, de punk parenting...


Puisse la visite vous être agréable.

P.S : les articles sont classés du plus récent au plus ancien.
P.P.S : La très belle illustration est de Jane Wonder!

Juste quelques mots...

 


J'entends fréquemment des personnes de mon entourage me répéter « quand je serai parent, je serai comme ci, comme ça, je ferai de telle manière, jamais comme ceci, etc ... »

Et doucement, je souris. Pas par complaisance, car je me retrouve beaucoup dans ces élans de projection et d'idéalisation qui me ramènent quelques années en arrière...

Mais la vérité, l'incroyable scoop, c'est qu'on ne peut jamais savoir. SURTOUT lorsque ça concerne notre future progéniture. On peut nourrir des valeurs très élevées, du type jamais d'écran, jamais de tétine, ..... jusqu'à ce que les jamais se heurtent à la réalité, et qu'on se retrouve à dormir la nuit par brefs à-coups de vingt-minutes avec le petit doigt tout frippé dans la bouche de bébé et plus la force d'allaiter avant le réveil définitif de 5h30. Ou à rêver d'un bref instant de calme pour enfin pouvoir boire cette tasse de thé du matin qui a été réchauffée huit fois d'affilée et refroidit encore sur un coin de meuble.

J'ai rêvé d'instruction en famille exclusivement. Jai rêvé de ne montrer aucun Disney. J'ai rêvé de ne jamais lever la voix. De ne pas avoir à « compter jusqu'à 5 ». J'ai rêvé de tant et tant de choses... jusqu'à me rendre compte que plus je nourrissais ces injonctions et plus je m'épuisais à maintenir un cadre prétendument idyllique. Tout a volé en éclats il y a maintenant quatre ans, quand j'ai réalisé que j'étais en train de m'abîmer et que lâcher était la seule voie possible. Depuis, je vogue entre des hauts et bas car la vie de parent est à l'image d'un océan, mouvant, tantôt tumultueux, plein de promesses, mais je tiens la barre, et il me semble pouvoir affirmer enfin prendre plaisir à être mère.

Vous ne serez sans doute pas les parents que vous rêviez. Vous en serez peut-être même très très loin. Et c'est ok que de revenir sur ces belles valeurs bien lustrées, sur ce monument de perfection qu'on s'était soigneusement bâti parfois avant même de concevoir. Soyez indulgents et doux avec vous-même. Prenez soin de vous, ça vous permettra de prendre soin de votre enfant. Entourez-vous d'autres parents (ça semble idiot mais c'est crucial de se sentir vraiment compris) et de personnes qui vous font du bien. Dans la première année de bébé, dormez dès qu'une occasion se présente.

J'aurais aimé lire ce genre de choses pendant la première année de ma fille, je crois. Alors, je partage ce petit élan.


dimanche 21 février 2021

Cinq ans d’éducation « positive » plus tard…



L'éducation dite "positive", est celle qui m’a le plus appris et le plus inspirée, dans mon quotidien, si vous avez lu mes précédents billets, vous avez une vague idée de comment je fonctionne avec mes deux enfants. La luciole aura bientôt cinq ans, le lutin deux, et j’ai songé qu’établir une sorte de petit bilan sur mon ressenti général serait intéressant. D’autant qu’il règne un gros climat d’incompréhension autour de l’éducation dite positive.

En particulier ces dernières années, depuis qu’elle est fortement plébiscitée dans une multitude de revues/conférences/bouquins/blogs. On l’accuse d’encourager le laxisme, de façonner des petits führers, de proposer un modèle irréaliste car dénué de conflit, et de conduire les pères et mères au fond d’un gouffre de culpabilisation à force de ne pas réussir à atteindre un idéal de super-parent-de-fou-totalement-irréprochable. Et par-dessus le marché, il semble impossible de critiquer cette méthode éducative, puisqu’elle exhorte à apporter le meilleur à son enfant : quel bourreau cruel s’y opposerait ?

Pour moi, ce n’est pas l’éducation positive qui est incriminée, mais la façon dont elle est transmise aux parents, et interprétée... Il s’agit à mon sens d’un outil, d’une palette de suggestions placées dans un certain cadre de valeurs ; ce n’est pas une méthode qui se place en vérité absolue, ni une doctrine enfermante à retranscrire à la lettre avec un excès de zèle coûteux pour tous. 

Elle n’est pas non plus une formule magique miracle, ni la promesse d’une vie lisse et sans conflits, ni une volonté d’abolition de tout cadre ou de toute limite, comme on le croit souvent à tort. 

Elle est simplement la juste réponse à un âgisme tristement ordinaire, à la voie classique du « tais toi, c’est comme ça et pas autrement », à un modèle éducatif fossile qui réprime les émotions et instaure un rapport de force permanent, et dont les générations précédentes (y compris la nôtre) ont souvent fait les frais. Elle touche aux bases d’un nouveau et vaste projet humain, sociétal. 

Bon, ça n’a pas été facile. Et ça ne l’est toujours pas. (D’autant que notre aînée présente toutes les caractéristiques d’une enfant dite « précoce » avec troubles de l’attention et hyperactivité, olé olééé) J’aurais aimé qu’on me dise « courage, tu vas en suer des gouttes, mais ça en vaut la peine. » Chez nous ça flambe, il y a des hauts, des bas, du découragement, de la joie en barre, des collisions et des réconciliations, c’est la vie qui bouillonne. Le but de cette démarche éducative, finalement, ce n’est pas d’abolir les conflits ou les émotions jugées pénibles : impossible ! Mais de les traverser ensemble, avec des outils en main pour rendre la navigation moins périlleuse.



On me demande des fois des astuces, ça me fait marrer parce que je me sens plus ou moins autant dépassée que tout le monde. Juste… disons que… je relativise, je lâche prise en réalisant que je me crispe sur tel ou tel petit principe sans raison valable, je transforme en jeu ce qui est en voie de tourner à l’affrontement ou au conflit d’autorité (« allez hop, équipe contre le chrono pour ranger cette chambre ! »), je verbalise les émotions pour l’enfant (« là tu ressens ceci ou cela, …), j’évite les récompenses et bannis les punitions (mais pas les sanctions = rappel des règles, exemple : l’enfant nettoie ce qu’il a renversé) mais encore une fois ce sont quelques pistes à explorer et ça ne marche pas toujours, ça dépend de tellement de facteurs. 

On me dit à juste titre : oui mais zut, là ce soir, j’ai pas la force, ça me saoule, la journée a été dure, et là il faudrait encore que je me mette à hauteur d’enfant et que j’improvise je ne sais quelle pirouette-cacahuète pour désamorcer, qu’il veuille bien arrêter ses clowneries et aller se brosser les dents ?! 

J’ai envie de dire… Oui. J’entends très bien. Et si quelqu’un prétend connaître un moyen miraculeux de coucher vos trois chérubins, brossage de dents et pyjama inclus, le tout sous une pluie de fleurs et sans jamais un mot plus haut que l’autre… Ben… Y a arnaque ;)  Eduquer, c’est comme une danse, ça peut être fluide, ou ne pas l’être, la connexion est à chercher. Et des fois, on n’a pas l’énergie, pas envie, ça fait partie de la vie. Et ne fait pas de nous de mauvais parents, juste des humains. On grandit avec nos enfants.

J’insiste beaucoup et souvent sur l’importance d’être aligné avec ses propres émotions, et c’est un cheval de bataille personnel. La bienveillance de façade fait, je crois, bien plus de ravages par exemple qu’une bonne colère bien sentie, évidemment dans le cas où elle est suivie d’explications d’humain à humain, et d’un pardon sincère pour réparer la relation et repartir sur des bases saines. « J’ai ressenti de la colère, pour telle et telle raison, est-ce que tu as eu peur, je te demande pardon car ce n’était pas le but… » Je ne dis pas de casser des meubles dès qu’un truc vous met de travers. Mais les enfants ont fort besoin d’une chose : que nous soyons alignés, authentiques, c’est ça qui les rassure, plus qu’une pseudo bienveillance souriante de circonstance recommandée dans FamilleParfaiteMagazine. Vous avez le droit d’être fatigué, triste, préoccupé, d’en avoir marre : seulement, les enfants ont besoin de l’entendre de votre bouche et de le savoir. En opposition à ce que les générations passées ont subi, je ne veux pas apprendre à mes enfants à rentrer leurs émotions, à s’en cacher, de toute évidence avec les miens c’était perdu d’avance ! « Quand vos enfants semblent vous chercher, c’est finalement pour vous aider à vous trouver. » : vous connaissez ? A mes débuts, j’en ai fait les frais, oui moi aussi j’ai cru que sourire tout le temps ça marcherait, et attendu de l’éducation positive qu’elle fasse de notre quotidien un paisible sentier de bienveillance dégoulinant de barbapapa au miel. Mais à force, ça créé l’indigestion, vous ne croyez pas ? 

Accueillir l’enfant inconditionnellement ne nous interdit pas de ressentir, ni d’être qui nous sommes. On lit souvent « ne pleurez jamais devant votre enfant, il va culpabiliser, ou bien prendre peur de vous voir faillible ! » Ben justement. Il est en droit de savoir que nous ne sommes pas des supers héros. Et il y a une juste mesure entre le fait de criser en accusant l’enfant « tu es impossible, j’en ai marre de toi » et de s’autoriser à verser des larmes quand on est à bouts. S’il est en âge de comprendre, prendre le temps de parler à cœur ouvert : « Je pleure pour telle raison, quand il s’est passé ceci j’ai ressenti cela, etc etc » en rassurant l’enfant sur l’Amour qu’on a pour lui. La première fois que ça m’est arrivé sans me cacher, petite luciole m’a dit à l’oreille « T’en fais pas maman, tu as le droit d’être fatiguée. » Elle avait trois ans !

Bon je partais pour un banal bilan et je me retrouve à écrire un plaidoyer!

Mais bref. Ces cinq années ont été sujettes à des ajustements permanents. Il y a tant de facteurs à prendre en compte. Dans le cas de la luciole, ça a été un peu particulier car nous vivions en collectivité : elle a dû en prime apprendre à s’adapter au caractère, aux limites, au passif, de chaque individu présent. Et nous, apprendre à communiquer clairement et à resserrer le cadre des règles : au début on avait du mal à être calés avec les autres. Si on disait non à quelque chose, par exemple, luciole savait pertinemment que dans la multitude de tontons/tatas punks qui gravitaient autour d’elle, il y en aurait systématiquement un-e- pour lui dire oui. Quant à l’emploi du temps, s’il était riche de mille découvertes, expériences nouvelles et peu banales, rencontres diverses des quatre coins du monde, il était aussi décousu et pas forcément toujours sécurisant. Le cadre manquait de clarté et de rythme, ça a été dur de fixer des limites plus fermes par la suite, de battre un rappel aux règles : luciole avait trois ans et était d’une insubordination digne d’un leader anarchiste. Ce qui a le mieux marché, outre l’instauration d’un emploi du temps calé (et affiché au-dessus de son bureau), c’était d’expliquer systématiquement le pourquoi de telle et telle règle pour lui apprendre à composer avec, à en comprendre le sens, et pas à les prendre comme des entraves placées arbitrairement par des parents purement sadiques. On en a traversé, des tempêtes. Il y en aura d'autres.

Voilà ce que j'aurais envie de dire aujourd'hui sur ma petite expérience. En vrai, il y aurait encore beaucoup à raconter, mais... ça va justement être l'heure du brossage de dents... ;)


P.S : Photographies prises par mes soins.

jeudi 11 février 2021

Pour une naissance dénuée de violence

 

Illustration : Bambins des bois

Il est indéniable que les progrès réalisés au sein de l’obstétrique sauvent des vies.

C’est donc au nom de la sécurité de la parturiente et de son bébé, et au nom de la modernité, que toute une répression s’est progressivement mise en place ; notre instinct profond, notre puissance intime, la connaissance de notre propre corps, sont muselés par des siècles de patriarcat doublé d’une triste méconnaissance (volontaire… ?) de la physiologie. En conséquence, l’hyper médicalisation de la naissance est devenue complètement routinière, quand l’accouchement naturel quant à lui est quasiment marginalisé.

On mésestime souvent combien le processus hormonal est délicat, et combien son équilibre peut être bouleversé dans une situation de stress. L’utérus se contracte principalement dans plusieurs contextes : pendant l'orgasme, les lunes, et pendant l'accouchement. C'est l'alchimie entre l'ocytocine et de l'endorphine qui assure la sécurité et le bon déroulement du processus de l'enfantement. Gorgé d'amour, dans un climat sécure et intime, l'utérus travaillera avec efficacité. Mais si l'espace de la naissance est ressenti comme insécure, l’adrénaline fait son entrée et sature les récepteurs d’ocytocine, bloquant le processus, exactement comme cela se passe pour les mammifères dans la nature.

Et quoi justement de plus stressant durant une naissance, que de se retrouver sous les néons blafards d’une salle aseptisée, dans une position qui n’a rien de physiologique, entourée par des soignants inconnus qui exécutent mécaniquement un protocole, en étant bien souvent eux-mêmes épuisés et tendus par leurs conditions de travail… ? C’est ainsi qu’une naissance peut avoir tôt fait de devenir laborieuse et de justifier toute une batterie d’interventions extérieures. On dépossède la mère de son propre accouchement, dernier bastion de la sagesse féminine ancestrale, à grands coups de déclenchements, épisiotomies, forceps, césarienne, délivrance sous hormones de synthèse… Tout cela entraîne bien souvent de lourdes conséquences pour l’enfant comme pour la mère, pendant et après la naissance. Pourtant hormis dans certains cas spécifiques, toutes les femmes sont capables d’accoucher par elles-mêmes, de manière totalement naturelle. Mais on leur a fait oublier leur propre puissance, l’inconscient collectif et les croyances établies ayant distillé en elles de telles peurs qu’elles n’imaginent bien souvent pas d’alternative au protocole des maternités.

Je pense que témoigner de mes propres accouchements permettra de déchiffrer mieux encore mon positionnement… Alors voilà mon histoire.

Quand la douleur devient souffrance.

Six ans plus tôt, je donnais naissance à une petite fille. Je me remémore mon excitation des derniers jours, ma nervosité, aussi, ainsi que mon impatience. Nous avions pour projet une naissance à domicile, souhaitant déjà ardemment plus d’humanité et le moins de médicalisation possible pour accueillir notre enfant. Je sentais déjà au plus profond de moi que, dans le cas d’une grossesse sans heurts, la place d’une femme qui accouche se trouve dans un cadre sécurisant, la liberté de mouvement et le respect de son intimité. Beaucoup de mes lectures confirmaient mes doutes quant au protocole médical implacable qui m’attendrait fatalement si je franchissais les portes d’une maternité. Il me tenait à cœur d’être souveraine, au moment de donner la vie.

Tout semblait prêt, j’étais fébrile, persuadée que ce serait une expérience splendide et qu’une bonne dose de détermination, doublée de mes connaissances théoriques, suffiraient à me faire accoucher magnifiquement. Hélas après douze heures de travail intensif et difficile, ma sage-femme aussi compétente soit-elle préfère passer la main. Je ne le lui reproche pas : en France, l’accouchement à domicile passe encore pour une folie et les assurances des sages-femmes sont à des tarifs prohibitifs : c’est souvent pour elles un pari risqué. Encore un sujet de réflexion à creuser en profondeur...

Mon bébé se porte bien mais n’est pas dans une position idéale pour s’engager dans mon bassin. A l'aube nous nous rendons aux urgences où je suis prise en charge. L’accueil n’est pas des plus chaleureux. On me fait monter sur une table étroite où je ne parviens pas à trouver de position confortable. Je suis en larmes et à bout de forces, j’ai froid, la lumière des néons m’aveugle. On m’intime d’enfiler une blouse, le seul contact du tissu me met hors de moi, je me débats comme un animal traqué, je ne sais même plus pourquoi je suis là, j’ai comme oublié que j’étais en train d’accoucher… Entre deux contractions, j’essaye de parler de mon projet de naissance, que par précaution j’avais recopié et glissé dans mon sac quelques jours avant l’accouchement ; ce à quoi on me répond qu’il n’y a « pas le temps pour ça. » Pourtant, mon bébé n’est pas en détresse, mais personne ne me dit rien. On me colle un monitoring serré sur le ventre et un cathéter au pli du bras. Ainsi entravée je ne sais plus du tout comment gérer les contractions. La panique monte. Des médecins entrent et sortent, bavardent avec la porte ouverte, sans se soucier de mon intimité. On me dit que l’anesthésiste ne devrait pas tarder à arriver, je ne me souviens pas l’avoir réclamé, mais au point où j’en suis, il m’est impossible de refuser. Si on ne m’anesthésie pas, alors qu’on m’achève ! Je cherche mon conjoint des yeux, il est au bord des larmes, agenouillé près de la table, tout aussi démuni que je le suis. Personne ne lui adresse la parole et il n’ose pas intervenir. Une éternité s’écoule. Au moment où l’anesthésiste passe la porte, je vois à sa mine sévère qu’il est fort mécontent d’avoir dû se déplacer si tôt le matin. Son retard a cependant permis de faire avancer le travail, bien plus que je ne le soupçonnais, car en prenant l’initiative de vérifier par moi-même je sens soudain le crâne de mon bébé sous mes doigts. Je m’entends crier : « Je crois qu’il arrive… » ; il y a un flottement, personne n’a l’air de me croire, une sage-femme finit par vérifier et lance soudain avec surprise : « Oh ! Oui, en effet, le col est totalement effacé ! ». Dans un soupir agacé, l’anesthésiste lève les yeux au ciel et s’en va en claquant la porte. Je suis bien soulagée de ne pas avoir affaire à lui… D’autant qu’accoucher sans analgésique faisait partie d’un souhait personnel. On me dit quoi faire et je m’exécute comme une bonne élève : « Soufflez, allez, poussez, encore… » J’avais atteint un tel point de désespoir et d’épuisement que je puisais dans des ressources totalement insoupçonnées. Quelques minutes plus tard, les sages-femmes posent ma fille sur mon ventre, toute chaude et gluante. Elle hurle à pleins poumons. Son papa et moi lui fredonnons une berceuse mais elle est inconsolable, le voyage a été éprouvant pour elle aussi. Sans attendre, on coupe son cordon qui battait encore, et ses cris redoublent. La table est très inconfortable pour mon dos et mon bassin endoloris, je ne trouve pas de position pour faire téter ma fille qui de fait continue de s’époumoner. On m’injecte de l’ocytocine de synthèse pour accélérer la délivrance du placenta, et on me fait sept points de suture à vif. Choquée, je ne parviens toujours pas à allaiter mon bébé qui heureusement finit par s’endormir en peau à peau contre moi. Comme il n’y a pas de chambre libre, je reste sur la table pendant plusieurs heures, maculée de sang, subissant des allers et venues incessants dans la pièce. Un pédiatre vient observer ma fille sous toutes les coutures, en la manipulant comme s’il s’agissait d’un rôti, il lui déplie les jambes, lui ausculte les yeux et les gencives, ne m’adresse pas un mot, elle hurle de protestation ; complètement affaiblie et sonnée je ne peux qu’observer la scène et me mordre l’intérieur des joues, tout en me demandant si ça n’aurait pas pu attendre, ou se faire au moins plus en douceur…

Je rentre à la maison quelques heures plus tard en signant une décharge, après avoir longuement insisté pour pouvoir m'en aller. Les amis et la famille nous accueillent comme des rois, mais ma détresse est totale. Dans les semaines qui ont suivi cette naissance, j’ai pleuré tous les jours. Post partum? Tu parles… Je n’arrivais pas à me remettre de ce sentiment d’échec, à accepter que cet accouchement n’ait pas du tout été ce à quoi je m’attendais, et à encaisser le fait de m’être déconnectée de mon bébé au moment précis où il avait le plus besoin de moi. On me répétait: allez souris, ton enfant est en bonne santé, et tu as accouché naturellement, de quoi te plains-tu ? Ils n’avaient pas tout à fait tort, mais je n’étais pas en mesure de prendre le recul nécessaire. Et puis « naturellement », le mot était grand. Une naissance naturelle, ce n’est pas simplement se passer de péridurale… Et lorsque mère accouche, ce n’est pas seulement un bébé qui naît, mais aussi une femme nouvelle…

Le personnel ne m’a globalement pas manqué de respect, et je n’ai pas subi de réelles violences comme certaines parturientes - dont plusieurs de mes proches amies - peuvent hélas en témoigner. Mais je me suis sentie totalement dépossédée de la naissance. Je n’ai pas accouché, non, on m’a accouchée. Dans la détresse la plus totale. Le lien avec ma fille s’en est d’ailleurs longtemps fait ressentir. Je rentre chez moi avec une sensation d'échec et d'incapacité, mon corps est un puzzle mille pièces, et on a beau me répéter "Tu as accouché sans péri, et tout le monde se porte bien, allez souris va!", je ne peux me départir du sentiment qu'une naissance naturelle ne se résume pas à une absence d'analgésique. Cette expérience me laisse une amertume au coeur.



La connexion à ma puissance

Trois ans plus tard, j'offre à ma fille de devenir grande sœur, en donnant naissance à un petit garçon. La grossesse étant « à risque », je ne peux opter pour l’accouchement à domicile. Mes convictions ayant grandi avec moi, mon choix de naissance libre et respectée s’est affirmé, et se porte sur le plateau technique de l’hôpital. Derrière ce nom barbare se cache en fait une salle de naissance naturelle, non médicalisée, qui permet un accouchement presque comme à la maison, accompagnée par une sage-femme libérale. Dans notre cas, l’hôpital se contentait donc seulement de fournir l’espace.

Le printemps approche, ma fille et son papa dorment profondément quand les contractions commencent, vers 23 heures. Je quitte la yourte et me laisse le temps de les accueillir, seule. Je suis à genoux dans l’herbe fraîche de la clairière, sous une lune absolument grandiose. Cela me confère une force incommensurable, cette fabuleuse connexion avec le sol humide, l’air vif, l’odeur de la forêt, la Terre vivante, et les étoiles… Un moment de pure magie.

Quand les contractions se rapprochent, je réveille mon compagnon. Mes parents viennent chercher notre fille vers deux heures du matin et nous restons dans la yourte en attendant la sage-femme qui habite assez loin. Nous l’avons choisie pour la connexion merveilleuse que nous avons découverte avec elle, et la confiance qui s'est immédiatement instaurée. Lorsqu’elle arrive, le travail a déjà bien avancé. Mon compagnon et elle m’accompagnent merveilleusement. Mes cris se muent en chant, ainsi que je l'ai appris. Le son et le souffle guident mon bébé, que je sens descendre dans mon bassin, pressé de naître.

A l’aube, la naissance est toute proche, il est temps de se rendre à la salle de naissance. C'est un peu difficile d'émerger de ce cocon d'odeurs et de chaleur. Je regarde le soleil énorme et rouge se lever par la fenêtre de la voiture et m’écrie : « Waou mais c’est un beau jour pour naître ! » et on part d’un fou-rire avec ma sage-femme. Ce même trajet, je l’avais fait dans les hurlements et les larmes trois ans plus tôt. Cette fois, sans dire que je chantonnais gaiement, je me sentais sereine, confiante, et magnifiquement forte. La douleur et la souffrance sont en vérité deux perceptions tellement différentes...

Le travail devient un peu plus laborieux une fois sur place, le temps de traverser les couloirs pour rejoindre la salle de naissance, puis d’enfin me reconnecter à ma bulle et de recréer un cocon. La pièce est agréable, la lumière tamisée, il y a un ballon, de quoi se suspendre, des tapis au sol, et j’ai même pu apporter des affaires personnelles dont une grande couverture. A cause de ma grossesse jugée à risque, une infirmière est tout de même tenue de me poser un cathéter ; c’est alors un moment vraiment pénible, car elle se met à me parler de la pluie et du beau temps et à me poser des questions, alors qu’en accouchant, il s’agit d’absolument laisser le mental aux oubliettes… Ma wonder sage-femme m’aide à ne pas me déconnecter, et nous revoilà enfin seuls. Je prends une interminable douche brûlante, danse d’un pied sur l’autre, passe du ballon au sol, à quatre pattes, je bois des litres d’eau, pousse des cris bestiaux, arrache le cathéter, embrasse goulûment mon compagnon, nul ne me contraint à rien. J'en viens à ressentir une bouffée de désir, viscérale. De tout le travail, ma sage-femme ne vérifie qu’une seule et unique fois l’ouverture de mon col, à ma propre demande. Sinon, elle est simplement là, présente, entourante, me massant, m’encourageant, mais elle me laisse pleinement agir. Je finis parterre, sur ma couverture imprégnée d’odeurs familières, au son du bol tibétain, et n’ai pas besoin de pousser, mon corps le fait tout seul : mon fils glisse hors de moi et prend sa première respiration sans crier. Je m’entends lui répéter : « Merci d’être là ! » Le placenta arrive tout seul quelques instants plus tard, alors que mon bébé prend calmement sa première tétée, le cordon ombilical encore tout palpitant. Aucun point de suture n’est nécessaire. Je renifle et lèche mon bébé, mue par un instinct profond et viscéral, et le garde nu contre moi de longues heures durant, même au moment de rentrer chez nous peu après, il est glissé nu dans l’écharpe, en position fœtale ; nous n’avons même pas pensé à emporter de couffin. Ainsi entre t-il au monde, en me faisant également accoucher de moi-même.

Ce double témoignage est la meilleure façon, je pense, d’illustrer mon précédent plaidoyer…

*

Que peut-on faire concrètement pour rendre à la femme le pouvoir d'accoucher ? Je n'ai pas la réponse-miracle. La seule chose qui me vient, c'est qu'il s'agit de nous sensibiliser, nous les femmes, le plus possible au fait de se préparer à accoucher de façon active, de se reconnecter à notre propre puissance, à notre instinct, à la confiance en nos capacités... Ce dont on a trop longtemps été coupées. De se rapprocher de structures respectueuses, offrant un cadre sécure qui encourage la physiologie de l'enfantement. De se tenir informées des protocoles, de se faire accompagner par des sages-femmes porteuses de sagesse, sans oublier les doulas.

Je terminerai par une citation d'Yvonne Knibiehler : "Le devenir-mère se fonde sur un savoir archaïque, intime, confidentiel, un savoir du corps, pétri d’humilité  et de patience, mais aussi de force et d’allégresse."

vendredi 2 octobre 2020

La fin de l'instruction en famille?



     L’instruction en famille concerne environ 50.000 enfants dans ce pays. Parmi eux, beaucoup sont des rescapés de harcèlement scolaire, ou ont des troubles/une précocité qui ne les permettent pas de s’intégrer, ou encore sont tout simplement totalement inadaptés au système classique… Pour ceux-là, l’IEF est une façon de (re)prendre goût à l'apprentissage et de réellement s’épanouir.

    L'IEF a été dans notre cas d'une évidence limpide. Nous avions le temps et le souhait d'offrir à nos enfants un apprentissage à leur rythme, basé sur la curiosité naturelle, le jeu, l'exploration et le plaisir (Voir mon article Mais tu n'es pas à l'école aujourd'hui?) A la rentrée 2020, notre fille a formulé la demande de tester l'école, elle est désormais scolarisée dans une petite structure Montessori où elle s'est très bien adaptée. Je me sens fière de son parcours et des bases que nous lui avons offertes. Et heureuse de commencer l'IEF auprès de notre petit dernier de 3 ans et demi.

    Aujourd’hui, il est question de nous retirer la liberté d’instruire à domicile à compter de la rentrée 2021, pour protéger certains du sectarisme et de la radicalisation. Les dommages collatéraux s’annoncent lourds. Je dispose de peu d’éléments pour l’heure, il me semble que cette loi doit passer au sénat et impliquerait une modification de la constitution. Ce n’est pas anodin, il y a encore de l’espoir, et nous sommes nombreux et nombreuses… N’éparpillons pas notre énergie, nous sommes en mesure de faire front. L’association UNIE sera porteuse d’un mouvement conséquent, n’hésitez pas à vous en rapprocher si vous êtes concernés (je sais que nombre de mes contacts sont dans ce cas) A terme il restera la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Rien n’est encore joué !

    Oui évidemment je suis inquiète des restrictions de liberté grandissantes, et du tournant que prend le monde dans lequel nos enfants grandissent. Mais passée l’angoisse, la rage et l’espoir peuvent s’avérer constructifs...!

P.S : Haha ou le cas échéant il restera à changer de pays…

P.P.S : Précision : je ne crache sur aucun prof, la plupart s’efforcent de bien faire leur travail avec le peu de soutien et de marge de manœuvre dont ils disposent dans ce système à la dérive.

samedi 6 juin 2020

A la rencontre de la colère



Une de mes plus importantes prises de conscience en tant que maman est d'avoir réalisé que lorsque je ressentais de la colère et pensais qu’elle se dirigeait tout droit contre mes enfants… en vérité, je me trompais.

Je parle de la colère écumeuse, mugissante, destructrice, vous savez, celle qui soulève en soi les remous noirs et poisseux de ce que l’on refuse de voir. 

Je parle de ces fois où mes enfants ne veulent rien écouter ni l’un ni l’autre, où leurs cris font vibrer tout mon squelette, où je me sens parfois minable dans mon incapacité à les apaiser.

Je parle aussi et surtout de cette pression terrible qui pousse à incarner la mère parfaite, celle qui ne lève jamais la voix, sourit en toute circonstance et règle les tensions d’un coup de baguette magique entre deux recettes de moelleux au chocolat.

Moi j’étais là si longtemps, avec cette colère à laquelle je ne laissais aucun droit. Et mes enfants, à leur juste place, jouaient inconsciemment mais non moins parfaitement leur rôle de catalyseurs... Les petits enfants ont tous en eux un radar qu’on ne peut tromper : si en nous, quelque chose n’est pas clair, pas aligné, ils le ressentent aussitôt. Les miens réveillent mes blessures d'enfant, mettent inlassablement le doigt sur ce qui fait encore mal, sur ce qui n'est pas réparé, pointent les failles dans ma charpente intérieure. Ils sont tous les deux des miroirs de ce que je suis. Et tous deux ont un rapport à la colère radicalement volcanique. Comment pouvait-il en être autrement?

Mon aînée est une dragonne, une guerrière. Dans la spirale dynamiques -pour les adeptes- elle se situe droit dans le rouge, et elle attendait en face la même réponse en terme d'énergie, d'élan, de posture. Plus je parlais, apaisais, conciliais, pire cela devenait, car elle appelait la guerrière en moi : celle qui guide, recadre, rassure avec des limites, annonce les siennes propres.

Je ne voulais pas de cette colère, jusqu’à découvrir combien elle est utile ! Elle parle pour nous-même, milite pour l’affirmation de soi, pour notre légitimité. Ce n’est pas une mauvaise émotion. Il n’existe, de fait, pas de mauvaise émotion! La colère est là pour nous redonner les rênes. Pour nous aider à trouver notre place. Je ne dis pas que hurler à longueur de temps sur ses enfants est légitime. Je dis qu'il s'agit d'accepter pleinement les émotions, sans les juger, d'accueillir la colère de nos petits et la nôtre propre, de mettre des mots sur ce que l'on ressent.

Le jour où je me suis dit « J’ai le droit de ressentir cette colère, et c’est légitime » j’ai découvert que j’étais bien davantage qu’une façade bienveillante, et j’ai enfin accepté qu’elle se craquelle, de ne plus être « la douce et la gentille Julie ». Et ce jour là, mon fils de trois ans m'a dit : "Maman, quand tu es en colère, y a aussi de l'amour dans toi. Moi aussi ça me fait ça." J'ai pleuré de soulagement comme rarement dans ma vie.

Ensemble on utilise un outil qui est rapidement devenu indispensable dans le quotidien : la fleur des émotions. J'ai tracé sur la porte du lieu où l'on vit une grosse marguerite dont chaque pétale représente une émotion, dessinée de façon claire et concise. Dans 8 cas sur 10, le seul fait de demander à mon enfant quelle émotion il ressent, en montrant sur la fleur, puis de décrire où l'émotion se situe dans le corps, libère quasi instantanément la tension. Je la prendrai en photo pour partager avec vous, si vous êtes curieux.

Remercions nos enfants pour ce qu'ils nous apprennent sur nous-mêmes. Et remercions-nous de savoir recevoir ces leçons. Face à la colère, l'adulte que l’on est devenu a les ressources nécessaires pour la traverser et pour comprendre son message. Laissons le vernis craquer pour laisser place à plus d'authenticité. Si la colère sort, l'essentiel est d'apprendre à la diriger, pour qu'elle ne vienne pas mettre en danger qui que ce soit, puis d'en reparler lorsque l'orage est passé, afin de comprendre les tenants et les aboutissants et de reprendre sa route où on l'a laissée.


vendredi 7 février 2020

Vie de maman, avant/après!

J'ai pas mal d'articles en suspend, qu'il me tarde de partager avec vous!

En attendant, un peu d'humour ne faisant jamais de mal, 
je me suis amusée à mettre en images un avant/après sur ma vie de jeune mère. 
Ou en quoi mon quotidien a changé depuis l'arrivée de mes deux petites crapules!



Mes départs en voyage, avant :



Mes départs en voyage... maintenant :




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Mes samedis soirs avant :


(Oui, bon, hein ! ^^)


Mes samedis soirs... maintenant :


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Mes lectures avant :



Mes lectures... maintenant :


( Ah oui et aussi"Au coeur des émotions de l'enfant" ainsi que "Elever son enfant autrement", 
et "La communication bienveillante", et puis "Masser son bébé", 
et aussi "Comment ne pas passer son enfant par la fenêtre après dix-huit nuits blanches consécutives", etc etc...
Bon, ok, pas que, mais j'aime bien exagérer un peu ;)


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Mes lessives avant :



Mes lessives... maintenant :



(Il y a un autre panier plein en attente juste à côté)

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Mes matins avant :



(Précision importante : mon thé est chaud)


Mes matins... maintenant :



(Précision importante: mon thé est froid et sur-infusé, posé quelque part à l'arrache)

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Mon lit avant :



Mon lit... maintenant :



(Et encore, z'avez pas vu le reste de la maison ^^)

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Quand je m'offrais des cadeaux, avant :



Quand je m'offre des cadeaux... maintenant :



(Ce porte-bébé Mei Taï est d'ailleurs trop chouette!)

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Du coup, j'ai aussi envie de vous montrer que tout ça en vaut la peine.












L'Amour inconditionnel. Le vrai. 
Celui qui ne tutoie ni limites, ni raison. 
Celui qui me ferait déplacer des montagnes entières s'il le fallait, juste pour eux deux.
Il vaut bien quelques thés froids et un peu de cernes sous les yeux, pas vrai?

=)

jeudi 6 février 2020

« Mais tu n’es pas à l’école aujourd’hui ? Elle va dire quoi la maîtresse ? »





La rentrée a eu lieu lundi dernier. Pour nous, le réveil n’a pas sonné : ce fut une rentrée à la maison, comme l’année passée.


Ce qui nous séduit dans l’instruction en famille ? Des valeurs très simples. Avant tout la liberté ! Etre à l’écoute du rythme de nos enfants. Gérer nous-mêmes tranquillement notre emploi du temps. Suivre un apprentissage totalement informel, basé sur la spontanéité et la curiosité naturelle, et ainsi découvrir qu’il est possible d’apprendre avec plaisir, de tout simplement en avoir envie.

Chose non négligeable, le papa et moi détenons le luxe d’avoir… eh bien, le temps, tout simplement. On a l’un et l’autre fait le choix d’une vie simple sans profession chronophage. Du coup ce temps libre dont nous disposons, nous pouvons l’employer pour l’apprentissage de nos lutins. Tout le monde n'a pas cette chance, nous en avons bien conscience!

Chaque petit moment du quotidien peut alors devenir une occasion d’apprendre. Chez nous, rien de formel. Tout dépend des envies. Parfois, je suggère. "Tiens et si on faisait de la lecture aujourd'hui?" Des fois c'est un oui enthousiaste, des fois c'est "ah non là j'ai plutôt envie de jouer aux dinosaures, ou d'aller faire des boutures de thym avec papa" Pas de notes. Pas d'horaires. Juste la vie.




La luciole a quatre ans et demi. Elle ne tient pas toujours bien son stylo, c'est une tornade qui ne sait pas rester assise très longtemps, parfois elle ne dit pas bonjour, elle ne connaît pas de comptines populaires, déborde en coloriant et ne découpe pas droit avec ses ciseaux. En revanche, elle sait reconnaître une quinzaine d'espèces de plantes comestibles différentes, nommer plein de dinosaures dont j'ignorais totalement l'existence (c'est son dada du moment), expliquer comment fonctionne un volcan,  différencier une planète d'une étoile d'un coup d'oeil, chanter par coeur Les ogres de Barback, couper proprement avec un couteau aiguisé. Et écrire/déchiffrer en majuscules, compter jusqu'à quinze, faire de petites additions. C'est la magie de l'apprentissage libre. Le petit lutin a un an et demi. Il grandit en totale motricité libre, c'est la première étape de l'aventure.

Je me suis toujours promis que si l'un ou l'autre de nos deux lutins réclament un jour l'école, je ne ferai pas barrage. Pour le moment, ce n'est pas l'ambiance. Il y a peu, nous sommes justement passées près d'une école avec luciole, pendant une récréation. "Oh? Mais pourquoi ils sont en cage, les enfants?" A t-elle demandé. - Pour délimiter l'espace, il y a une barrière, ai-je répondu. Ça évite aux gens extérieurs à l'école de rentrer, et aux enfants de sortir en dehors des horaires autorisés. - Ah. J'aime vraiment bien être de l'autre côté de la barrière, moi, maman. Et nous avons poursuivi notre route jusqu'à la médiathèque. Où la bibliothécaire lui a posé la question qui tient lieu de titre à cet article. (Sa réponse fut simplement : J'ai pas de maîtresse alors elle ne dira rien du tout.)

On nous répète souvent : mais il faut bien qu’ils s’adaptent! ... Nous vivons dans une société qui est à mon sens profondément malade. Comment pourrais-je un seul instant souhaiter à mes enfants de s’y adapter ? C’est précisément en cultivant leur liberté, leur autonomie, en les sortant du moule, en leur offrant une vision nouvelle, en ne les soumettant pas, que nous pouvons espérer un jour guérir ce qui peut encore l’être.

( Et puis, je fais partie des gens qui ressentent le monde actuel comme aux prémices d’un virage grand V, d’un tournant majeur, alors au final c’est peut-être plutôt la société qui finira tant bien que mal par s’adapter à eux!)



Ce qui m'effrayait un peu, dans cette aventure non sco, c'était avant tout le manque de sociabilisation. Heureusement, on  a vite noué des liens forts avec des parents d'autres enfants non scolarisés, sur un rayon de quelques kilomètres autour de chez nous. Depuis on se voit toutes les semaines pour faire des activités tous ensemble. Et on parle de fonder notre propre école libre d'ici l'an prochain!

Des fois, j'ai un peu peur. D'être débordée. De me perdre dans ce rôle de maman-éducatrice. De ne plus du tout trouver de temps pour moi. De me faire fustiger par l'inspection académique lors des contrôles à venir.

Et puis je me rappelle pourquoi on a fait ce choix. J'en vois les bienfaits au quotidien. On en discute avec les amis qui sont dans la même dynamique, et ça me rappelle que je ne suis pas seule. Et que le plus beau cadeau que je peux faire à mes lutins, c'est de respecter leur liberté.

Merci de m'avoir lue jusqu'au bout.

jeudi 2 mai 2019



En ce moment, je relis Le Prophète de Kalil Gibran, et un fameux passage résonne fort à chaque lecture, celui qui aborde le sujet des enfants, où il y est dit, entre autres : 

"Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même, Ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas."

... Ainsi que : "Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées, Car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes, Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous."

Lire cet extrait me remplit d'humilité, et me rappelle que vous souhaiter libres, mes enfants, c'est aussi accepter qu'un jour vous preniez peut-être un chemin différent du nôtre.

Nos choix et nos valeurs, nous avons à coeur de vous les transmettre. Mais on ne sait pas de quoi demain sera tissé. Peut-être aurez-vous envie de nous envoyer balader, nous, notre forêt profonde et nos grands principes. Peut-être que vous nous reprocherez un jour de ne pas avoir été des parents "normaux", ceux avec qui les choses sont certainement beaucoup moins alambiquées.

On aura seulement oeuvré à transmettre ce qui nous semble juste, essentiel, et précieux, dans ce monde à la dérive. Vous serez libres d'en faire ce qui vous semblera bon. Je vous souhaite seulement de vous sentir heureux dans les choix futurs que vous ferez, et de garder une petite place, nichée dans votre coeur, pour ne pas oublier d'où vous venez... Que vous avez été des enfants pieds nus par tous les temps, que la forêt était votre maison, qu’on n'avait pas la télévision mais un feu de bois qui crépite et des copains assis autour, que vous connaissiez les plantes bien avant de savoir lire, que le frigo était un pot en terre cuite, que dans notre yourte on bouquinait à la bougie. Et que des gens pour beaucoup cabossés, que la société pourrait juger voire rejeter, se sont comportés auprès de vous comme le ferait une vraie famille.

On aura planté quelques graines... Le reste vous appartient.

lundi 24 décembre 2018

Retour d'un voyage à la roots, en famille, aux Canaries...!



Cette aventure tenait un peu du challenge : deux enfants en bas âge, des gros sacs à dos, de quoi camper de façon rudimentaire, une contrée inconnue et aucun plan pré établi. A notre image somme toute, à la roots (...bon d'aucuns diraient plutôt à l'arrache ;) )

L'heure est au bilan!

Voyager avec des petits enfants, ça met évidemment en jeu bien plus de paramètres que lorsque l'on part tout seul ou en couple. Davantage de matériel à transporter, un semblant de rythme à respecter, limitation des prises de risques, etc...

Réserver des hôtels et anticiper un circuit avec le guide du routard ne nous ressemblant pas, on a opté pour une aventure à l'aveuglette, en compilant bien sûr quelques infos, et en comptant à la fois sur notre bonne étoile, notre habitude de la vie au grand air, et sur les rencontres qui jalonneraient notre route. L'instinct a toujours été le meilleur des alliés.

Le voyage a duré un peu plus d'un mois et demi, entre Tenerife, la Gomera et Lanzarote.





Avant quand on me disait "Canaries", par méconnaissance j'imaginais d'interminables plages paradisiaques sur fond d’hôtels de luxe, et ce n'était pas le type de destination qui m'attirait. Au final, s'il y a un peu de cela selon les coins, c'est avant tout un archipel extrêmement varié en terme de paysages et de (micro)climats!

A Tenerife, nous ne nous sommes pas beaucoup attardés, mais avons apprécié quelques très belles randonnées et fait de chouettes rencontres. Lanzarote, aux paysages spectaculaires et lunaires, m'a conquise en tant que photographe, mais ne se prêtait en revanche guère trop à l'errance d'une famille de backpakers désireux de se perdre into the wild.

Notre coup de coeur, et là où nous avons passé le plus de temps, c'est la Gomera.
De cette île, je me remémore avec nostalgie le vert intense des forêts luxuriantes et humides, des figuiers de barbarie, des aloés et des agaves qui envahissent les champs en terrasses, des maisons colorées blotties dans les ravins, des falaises abruptes battues par les embruns, des plages de sable noir obsidienne, de la saveur incomparable du miel de palme, des mangues, des bananes et des avocats mûrs à point, de la brume imprévisible et comme animée par une volonté propre, des ruelles pavées et chaleureuses de San Sebastian. Des nuits sous des cieux comme je n'en avais encore jamais admirés. De la soirée passée en joyeuse compagnie, dans la chaleur du tipi, à flanc de falaise. Des baignades nus dans une mer chaude et houleuse. Du ressac sonore des vagues sur les galets. De la plage de Trigo, havre de paix pour tout bon Robinson Crusoé. De l'accueil si chaleureux de Loreena, de la complicité avec les pirates jongleurs, de nos enfants qui jouaient avec d'autres fraîchement rencontrés en oubliant la barrière de la langue.




Tout cela, c'était du pur enchantement.

Mais je ne suis pas là pour faire croire que tout était toujours parfait dans un merveilleux monde idéal, ou ce ne serait pas dépeindre avec justesse la réalité d'un voyage =) 
Il y a aussi eu des galères, forcément.

Aux Canaries, dans le souci de préserver la nature, le camping sauvage n'est pas autorisé. Seulement, il n'y a quasiment aucun camping nulle part (un seul pour toute l'île de la Gomera par exemple!) A Tenerife, il y a bien des aires gratuites où le camping est autorisé, mais qu'il faut réserver une dizaine de jours à l'avance (difficile pour nous, qui n'avions pas de quoi charger notre téléphone, et ne savions pas où nos pas nous conduiraient d'un jour à l'autre) Notre budget n'autorisait pas de nuits d’hôtel ni de location coûteuse, alors nous avons tout de même opté pour le bivouac, hormis sur quelques plages particulièrement sauvages et isolées où on s'attardait davantage. En évitant soigneusement les zones protégées, on montait la tente au coucher du soleil, et on la démontait aux premières lueurs du jour, sans laisser aucune trace. Mais c'était toute une logistique, de packer en vitesse tous les sacs à peine levés, avec les enfants à gérer en parallèle. On n'a au final croisé la guardia civile que deux fois (quand on n'avait pas encore remballé nos affaires haha) mais ça s'est plutôt bien passé et on s'en est sortis sans amende.

Heureusement, on a pu obtenir de bons conseils pour trouver quelques plages perdues où camper : il en existe avec des grottes habitées, d'autres aménagées pour les Rainbows Gathering, bref plusieurs très bonnes surprises! J'ai aimé goûter à cet isolement. Le seul point délicat dans ces lieux là, c'était la gestion du stock d'eau potable : avec deux petits, il était hors de question de plaisanter là dessus. Ça représentait plusieurs kilomètres à pied chargés avec deux bidons qui, sitôt ramenés, étaient vite engloutis.

On a aussi eu l'occasion de se faire héberger chez plusieurs locaux adorables, et s'offrir quelques nuits dans des pensions spartiates mais agréables.

On cuisinait au feu de bois, ça ne changeait pas trop nos habitudes, mais on avait tout de même un petit réchaud de dépannage au cas où.




On a beaucoup marché. Les Canaries sont des îles volcaniques, avec le dénivelé qui va avec : c'était sport! Mon sac à dos faisait douze kilos, mon fils dans le porte-bébé quant à lui en pesait seize: je portais donc la moitié de mon propre poids. Autant dire que j'ai gagné en biscotos ;) Et en courbatures le soir... Ce qui pesait lourd, c'était la tente, le nécessaire pour cuisiner, et surtout, l'eau. Encore une fois quand on porte pour quatre, ça change la donne!

En terme de kilomètres parcourus, c'était très variable. Au maximum, on en a fait 13 par jour, avec deux petits lutins et au vu du dénivelé, c'est pas mal =)

Pour un premier voyage avec enfants hors frontières connues, les Canaries sont une destination adaptée : ce n'est pas dangereux en terme de risques sanitaires, c'est dépaysant sans être trop lointain, les paysages sont étourdissants.

Ah pour la petite histoire, on a quand même essuyé une tempête tropicale peu après notre arrivée! Sur les côtes de Tenerife, les vagues montaient jusqu'aux balcons! Mais nous étions à l'abri à Valley Gran Rey, qui était plutôt épargné (malgré les vagues très impressionnantes)





Globalement, voyager avec des petits enfants est un passeport pour les belles rencontres, les mains se tendent plus facilement, les gens se méfient moins. 


Un aspect un peu étrange du voyage malgré tout, quand on atterrissait dans des lieux civilisés et touristiques, on se sentait vraiment comme des extra terrestres : avec nos dégaines, nos sacs à dos débordants de tous les côtés, nos habits usés par le voyage, les enfants hirsutes qui courraient pieds nus, parfois le regard des touristes proprets était comment dire... un peu dur à encaisser. Au quotidien, du fond de notre forêt, on avait perdu l'habitude d'être regardés de travers. En fait, ça attirait un extrême et l'autre dans les réactions : soit de la désapprobation silencieuse mais manifeste, soit au contraire, de grands sourires, des pouces levés, des petits cadeaux (du turron, des fruits...) ou des remarques du type : "C'est fantastique ce que vous offrez à vos enfants!"

Fantastique, pour sûr! Il me tarde d'y retourner...
En attendant, je vous laisse avec quelques souvenirs en images... 


La playa de Inglès, aux lueurs de l'aube.


Dans une délicieuse piscine d'eau de mer près de Hermigua.

Papa sherpa!
Traditionnel tressage du palmier...
Parc national du Garajonay
Lunaire Lanzarote...

Déambulation dans les rues de San Sebastian.



Rarement contemplé ciel aussi pur...

"Réjouis toi car tout lieu est ici et tout moment est maintenant!"